Sujet: « Etoile de la Mélopée » Mer 22 Juin - 19:52
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Etoile de la Mélopée.
Chef de la Petite Brise
Sujet: Re: « Etoile de la Mélopée » Mer 22 Juin - 23:28
Etoile de la Mélopée
Meneuse du Clan de la Petite Brise
I don't cry ; I remember.
« A ton chant aujourd'hui se mêle nos voix ; et c'est dans une douce mélopée, qu'ensemble, nous pleurons à tes côtés... »
PARTIE I - Souvenirs d'une enfance volée.
Partie I :
Mes premiers souvenirs ? La douce odeur lactée. Le flanc chaud de ma mère contre lequel je me blottissait. La multitude de senteurs qui m'attiraient inexplicablement, et la lumière que je percevais à travers mes paupières closes. C'était le temps de l'innocence, de l'inconscience. Et ces chuchotements qui me berçaient, ces voix étranges empreintes d'une sagesse infinie, si lointaines et diffuses que je ne les comprenais pas. Qui revenaient sans cesse dans des rêves indistincts et étranges. Je me souviens de ma première sortie, échappée de ce buisson-abri à peine pus-je à peu près marcher, à peine eus-je ouvert les yeux. Tous ces félins immenses, toutes ces choses nouvelles, et pourtant ma curiosité n'était jamais satisfaite. Et la douceur de la voix de ma mère, Astrale, lorsqu'elle murmurait « Petite Mélodie... ? », et sa belle fourrure d'un blanc parfait, et ses yeux, deux éclats d'azur luisants, qui envoûtaient les mâles. Et moi. Petite boule de poil duveteuse, tout de blanc, de brun et de noir, quémandant une histoire, sautant sur une queue agitée ou pourchassant d'un regard brûlant le vol d'un papillon coloré. Moi, dont le coeur déjà brûlait d'ambition, moi, dont le pelage attirait des regards qui me couvaient souvent avec admiration, et parfois même, jalousement. Il y avait aussi les trois turbulents chatons de Griffe, sœur de ma mère et de ce fait, ma tante. L'espiègle Brise, l'amusante Nuit, et le fier Soleil. De deux lunes plus âgés, autant d'aubes et de crépuscules qui les avaient vu devenir grands. Enfin, plus grands. Ils m'entraînaient bien vite dans leurs jeux et leurs bêtises. Eux étaient heureux, parfaitement heureux, avec leur mère juste et aimante, et leur père si sympathique. Faucon était son nom. Mais moi aussi, je vivais dans un bonheur total, et l'absence de mon paternel ne me causa pas grand chagrin. A l'époque, je n'y songeais même pas. Mais le bonheur n'était pas destiné à durer...
C'était une matinée tout à fait banale d'apparence. Le ciel était du même bleu que d'accoutumée, le vent était aussi agréable, les oiseaux entonnaient le même chant. Astrale et Griffe partageaient un lièvre sous les rayons du soleil matinal, profitant de la fraîcheur de la brise nocturne qui s'estompait. Du regard, elles suivaient nos jeux, piètres imitations de combats. Faucon rentrait de la chasse, un lapin dodu dans la gueule, avant de l'offrir aux deux seuls doyens de la troupe, pour rejoindre sa compagne. Nous n'étions pas bien nombreux, dans la troupe de la lande. Guère plus d'une dizaine, si l'on compte nouveaux-nés et âgés. Mais ça nous suffisait, et notre territoire n'était pas bien grand. Nous n'étions pas un Clan. Juste un groupe de solitaires installés dans la lande depuis des générations, avec nos lois, comme celle qui annonce que chaque dirigeant ou dirigeante, lorsque viendra l'heure pour lui ou elle de se retirer, cédera la place à l'un de ses petits. Et moi, fille d'Astrale, tel était mon destin.
Soudain, le buisson qui marquait l'entrée de la petite combe frémit, laissant place à un énorme matou gris, gris comme la roche polie par les vents. Aussitôt, tous les félins bondirent sur leur pattes, feulant, la fourrure hérissée. Griffe nous rassembla et nous guida rapidement jusqu'au buisson-abri qui était sa tanière, avant de retourner à son poste. Aux côtés du matou gris venaient de surgir quatre, puis cinq, jusqu'à sept autres chats. Un mince chat gris sombre, ou peut-être noir terne, je n'ai jamais su, s'avança et planta son regard jaune perçant dans celui de Mère.
« Roc, gronda la chatte en toisant le puissant mâle gris, que fais-tu ici, avec tes chats de la forêt ? _ Nous sommes venus chercher mes chatons. Nos chatons, Astrale. »
La réponse, venue du félin sombre, fit s'abattre un grand silence. Je ne comprenais pas ce qu'insinuait cet inconnu, mais j'étais bien la seule. Pour les troupes, souiller la sang pur des chats de la forêt ou de la lande par des chatons mêlant les deux était quelque chose de répugnant. A l'instar des Clans, les troupes désapprouvaient les clans-mêlés, qui dans ces terres lointaines étaient appelés impurs. Puis des cris de frustration fusèrent, la plupart dirigés vers les matous de la forêt, mais certains vers Astrale, qui avait osé choisir un compagnon parmi les adversaires de la troupe de la lande.
« Jamais ! C'est dans la lande qu'est la place de Petite Mélodie ! » feula Griffe en bondissant aux côtés de sa sœur.
Elle fut approuvé par des feulements triomphaux. Agitant le bout de la queue pour réclamer le silence, Astrale plongea son regard dans celui du matou qui se disait mon père.
« Prend tes chats avec toi, Roc, et quittes mon territoire, gronda t-elle alors. Quand à toi, Songe, saches que Petite Mélodie est ma fille, et uniquement la mienne. _ Il faut pourtant te résoudre à admettre qu'elle a un père ! »
Ayant feulé ces derniers mots, le matou sombre tourna le dos et s'éloigna d'un pas vif, bientôt suivi par les autres chasseurs sur un ordre tacite de Roc. Celui-ci se tourna vers la dirigeante.
« Ce n'est pas fini, Astrale, cracha t-il. Ce chaton sera la prochaine recrue de notre troupe, et nous nous battrons s'il le faut ! »
Irrité, il battit l'air de la queue et s'engagea à la suite des siens. Astrale ordonna à ses meilleurs combattants de les escorter jusqu'à la frontière. A peine la queue du dernier combattant eut-elle disparut que tous les regards, chargés tantôt de simple désapprobation, tantôt de pitié compatissante, ou même d'une fureur haineuse, se tournèrent vers la dirigeante disgraciée. Elle se tenait droite, au milieu de tous ces regards qui auraient fait frémir n'importe qui. Et, quelques secondes plus tard, les protestations fusèrent.
« Traîtresse ! _ Elle n'est plus notre dirigeante, chassons-la ! _ Livrons l'impure aux chats de la forêt, ce ne sera pas une grande perte ! »
Dans le buisson-abri de Griffe, où elle m'avait cachée avec ses chatons, je me recroquevillais, soudain consciente que j'avais perdu l'amour des miens, comme accablée par le poids des insultes, non seulement à moi-même, mais aussi à ma noble mère qui demeurait immobile, impassible, alors qu'elle venait de perdre le respect et l'admiration des siens. L'un des matous feula et bondit sur Astrale, mais un éclair gris s'interposa, et Faucon percuta l'ennemi qui roula à terre.
« Comment oses-tu attaquer ta dirigeante ? » feula t-il.
L'autre lui répondit en grondant quelques paroles, avant de se détourner avec un battement de queue méprisant. Griffe et quelques autres combattants loyaux vinrent se placer aux côtés d'Astrale pour la protéger. Mais, sans un mot, elle se dirigea lentement vers son buisson-abri, et l'étincelle triste de son regard trahissait sa douleur malgré sa tête haute. Je bondis vers elle, Brise, Nuit et Soleil à ma suite, mais j'aperçus derrière moi Griffe qui barrait la route à ses petits. Elle leur murmura quelques mots, mais déjà je me glissais dans le buisson-abri où je vivais en compagnie de la Dirigeante. Elle était là, allongée, la tête posée sur les pattes. La flamme qui brûlait dans ses iris d'azur avait disparut, ne laissant qu'un regard vide, que quelques cendres, quelques larmes que je la vis refouler. Son air abattu m'était étranger, et je ressentis sa douleur comme si un aigle venait de me transpercer le cœur de ses serres acérées.
« Astrale ? » l'appelais-je.
Seul le tressaillement de ses oreilles prouvait qu'elle avait entendu. L'inquiétude me gagna soudain. Une boule vint m'obstruer la gorge, tandis que je me demandais si elle m'en voulait, si elle allait me renier pour être une impure, elle aussi. Mes pattes se mirent à trembler.
« Mère... » murmurais-je, au désespoir.
Elle leva alors la tête vers moi, et me couva d'un regard si intense qu'un instant je crus qu'il allait embraser mon pelage. Elle ouvrit la gueule, comme pour parler, mais le frémissement du buisson-abri l'en empêcha un instant avant que Griffe n'entre. Astrale reposa la tête sur les pattes, nous invitant à approcher d'un petit frémissement de queue. Je n'en attendais pas plus, et courut me blottir dans sa douce fourrure, humer son odeur si chère. Me roulant en boule tout contre elle, un ronronnement enflant dans ma gorge, je sentis le sommeil me gagner. Et c'est là, contre ma tendre mère, ma tante à mes côtés, bercée par de furtifs murmures que je ne pouvais comprendre, que je fermai les yeux et me laissai porter vers mes rêves.
***
Le jeune chat, haletant après sa course folle, reprenait son souffle. Ses flancs se soulevaient rapidement sous son pelage crème.
« Astrale ! » appela t-il encore.
L'intéressée surgit aussitôt, son pelage blanc luisant sous le soleil proche du zénith. Elle bondit à la rencontre du jeune chasseur.
« Ro... Roc, haleta t-il. Avec ses chats, au pied des collines ! _ Une attaque ?! » hoqueta Astrale.
Le matou crème, le souffle trop saccadé pour parler, me désigna d'un battement de queue. Au début, je ne compris pas, avant de réaliser que les adversaires étaient venus se battre pour m'emmener. Un quart de lune seulement après qu'ils m'aient réclamé, ils venaient me trouver par la force. Il faut bien le dire, j'étais touchée qu'ils en viennent à de telles limites pour un simple chaton impur. Mais je ne souhaitai pas quitter la lande, Astrale, Griffe, et tous mes amis. Ici, une glorieuse destinée m'attendait, je deviendrais la future Dirigeante de la troupe, et je ne pouvais me résoudre à rallier l'ennemi, à devenir une simple chatte de la troupe à qui je ne devais aucune loyauté, père ou pas père. J'étais prête à me défendre de mes griffes et de mes crocs s'il le fallait.
Astrale réunit ses combattants, laissant le jeune épuisé garder les plus faibles dans la petite combe. Poussant un cri guerrier, elle s'élança vers le champ de bataille, les siens à sa suite. Depuis notre buisson-abri, je la vis s'éloigner aux côtés des autres, affichant tous une expression déterminée malgré qu'ils auraient pu ne jamais revenir, et à cet instant je compris que leur loyauté n'allait pas seulement à Astrale, mais à la troupe entière, à chacun de ces chats qu'ils côtoyaient et aux règles ancestrales qui rythmaient leur vie. A cet instant, la troupe de solitaires était devenu un véritable Clan. Je vous en prie, faîtes qu'ils reviennent tous vivants... murmurais-je. Si les troupes n'avaient pas de Clan des Etoiles, cela n'empêchait pas de prier la brise, et le ruisseau, et toutes les choses de ce monde. Car tels étaient nos ancêtres, esprits dansants parmi le vent et les courants, dans la courbure d'une feuille et les rayons du soleil. Et je savais, je savais pertinemment, que la paix après un affrontement entre troupes était souvent signée du sang de ceux qui étaient tombés...
***
Le temps passa. Une lune s'écoula, où, malgré l'appréhension dans les yeux des félins et la tension qui palpitait dans l'air, aucun combat ne se déclara. Pourtant, nous savions tous que ça ne durerait pas. La troupe de la Forêt était trop fière, trop avide pour abandonner si vite. Et les doutes se confirmèrent. Leur fétide parfum fut découvert sur la lande, lande qui appartenait à ma troupe depuis des générations et des générations, lande où ils n'avaient rien à faire sinon déguerpir au plus vite. Astrale, une nouvelle fois, partit sur le champ de bataille avec tous ceux qui étaient aptes à se battre. Et elle m'ordonna de ne pas bouger du buisson-abri. Seulement, le combat n'était qu'un piège, et pendant que Roc et une partie de ses chats tendaient une embuscade à ceux qui viendraient les repousser, Songe se glissa dans le buisson-abri aussi discrètement que possible et m'enleva. Furieuse, je le griffais, feulais, mais il m'emporta avant que les autres ne le remarquent.
Je voulais m'échapper, mais les chats ne me laissaient pas quitter le pourtour du buisson-abri de la chatte à qui on m'avait confié. C'était une femelle rude qui ne m'appréciait clairement pas, qui refusait que j'approche ses propres chatons et ne se préoccupait aucunement de moi. Mais elle était la seule chatte allaitante de la troupe et Roc ne lui laissait pas le choix. Songe se montrait plus sympathique. C'était un père assez maladroit, qui tenait vraiment à moi malgré, je le compris vite, la haine qu'il portait désormais à ma mère. Je ne sus jamais quelle était la cause de cette haine. Peut-être avait-elle décidée de se vouer à sa troupe en le reniant ? Quoi qu'il en soit, c'était un des rares matous de la Forêt qui m'eut parut un tant soit peu amical, et que j'aurais sans doute aimé dans d'autres circonstances. Cependant, ma loyauté m'interdisait de tolérer son affection et de me nourrir du lait de la chatte. Mon état se dégrada vite dans ces conditions : affamée, parfois frappée rudement par Roc où un autre grand combattant qui s'énervaient de ma nature rebelle et de mon état déplorable, chassée du buisson-abri chaud et sec et interdite de m'en éloigner. Plutôt mourir que de renier ma troupe, et ma destinée de Dirigeante. J'eus pourtant un maigre réconfort en cette dure période : les voix se faisaient plus nombreuses et plus fréquentes, et, bien que je ne les comprit pas, elles m'étaient rassurantes.
Astrale vint pourtant me récupérer, plus d'un quart de lune suite à mon enlèvement, alors que j'étais tombée dans un état terrible, aux portes même de la Mort. J'appris par la suite qu'elle avait dût convaincre difficilement sa troupe qui ne souhaitait pas de moi, et qui contestaient son autorité. Mais la troupe de la forêt refusa mon départ. Roc, comme tous ses chats, savaient très bien que je serais morte pourtant. Depuis plusieurs jours déjà, ils sentaient la vie vaciller dans mon pauvre petit corps, et s'attendaient à chaque instant à ce qu'elle me quitte pour de bon. Faucon, furieux aussi bien de mon état lamentable que de l'entêtement des adversaires, bondit sur Songe. Les camarades de ce-dernier répliquèrent aussitôt, s'en suivit un combat sanglant. J'aperçus entre mes paupières à demi-closes une tâche floue de couleur brune portant l'odeur de Griffe. Ma tante m'entraîna hors du champ de bataille, tandis que je me laissais choir entre ses mâchoires, et me cacha dans un buisson dégageant un fort parfum végétal qui empêcherait les ennemis de sentir ma propre odeur. Elle s'apprêtait à retourner au combat, mais un puissant mâle ennemi lui bondit dessus. Impuissante, je ne pus que voir, entre les branches du buisson, la chatte qui luttait tandis que l'autre la plaquait au sol, déchirant sa gorge de ses griffes acérées, faisait gicler le sang écarlate et poisseux. Et moi, pauvre petite chose que la faim avait brisé, je vis ainsi la vaillante femelle s'éteindre. Ma douleur fut telle que je parvins à vaincre la faiblesse pour me traîner jusqu'au corps teinté de pourpre.
La bataille prit fin lorsque qu'Astrale s'enfuit, les derniers de ses guerriers à sa suite. S'attardant un instant pour feuler en arrière, elle aperçut le corps de Griffe, et me découvrit blottie contre lui, le museau inondé de larmes alors même que mes respirations étaient terriblement faibles. Elle me ramena dans la lande, mais j'aperçus dans ses yeux une flamme de vengeance qui ne lui ressemblait guère, et je compris que jamais rien ne pourrait l'éteindre de son cœur.
Revenue auprès des miens, je fus accueillie chaleureusement par Brise, Nuit et Soleil, mes chers amis, qui étaient devenus, sans le savoir, orphelins de mère. Alors qu'Astrale me portait jusqu'à notre buisson-abri, Faucon entraîna ses petits vers le sien d'un air las et abattu. Tout ce sang, toute cette douleur… A cause de moi.
Et, une demi-lune plus tard seulement, alors que je commençais à me remettre, la troupe de la Forêt décida de me récupérer et attaqua au crépuscule la petite combe où nous vivions, piétinant les buissons-abris, attaquant jusqu'aux doyens. Sur l'ordre d'Astrale, tous les inaptes au combat évacuèrent, m'emmenant avec eux, loin du sang et du chaos destructeur de la bataille où l'un des chats de la lande perdit la vie, et où deux autres furent si gravement touchés que l'espoir de les sauver n'existait plus. L'un mourut au cœur de la nuit ; l'autre le suivit à l'aube. Oh, combien je me suis reprochée d'être l'origine de tout ça ! Tant de larmes, de sang, tant de morts, pour un simple chaton impur. Il n'était plus question désormais d'ambition et de loyauté. Trop de vies avaient été perdues à cause d'une unique destinée qui peut-être même n'avait jamais existé que dans mes rêves. Je ne parvint pas à interrompre le flot de mes songes et, toute la journée, je pensais. Si jeune, je me raisonnais déjà à la façon d'un sage. D'un sage bouleversé, troublé et brisé, certes, mais d'un sage. Et je savais que tant que je serais membre d'une troupe, la paix n'existerait pas. Alors je pris la décision la plus pesante de ma vie, allant à l'encontre de mes désirs, de mes passions, et, ignorant la douleur de mon cœur déchiré, je quittais les miens pour m'échapper dans les ténèbres de la nuit.
PARTIE II - Souvenirs d'un cœur brisé.
Partie II :
Après quelques jours d'une pitoyable errance, alors que je tentais vainement d'apprendre à chasser et à survivre par moi-même, je tombais sur un agréable paysage tout d'herbe douce et de collines balayées par le vent, qui me rappelaient ma lande et me faisaient ressentir une fugace sécurité. Je m'y entraînais à la chasse aux lapereaux, comme les chatons de Griffe le faisaient. J'étais rapide, ça oui, je filais comme une bourrasque de vent, mais sans jamais parvenir à attraper ma proie. La faim commençait à se faire ressentir et je craignais de ne jamais parvenir à survivre.
Un jour où je parcourais les collines en quête de la moindre petite proie, rampant dans l'herbe suffisamment haute pour cacher un petit chaton comme moi, je vis soudainement un éclair brun passer devant ma truffe. C'était un beau lièvre, un mâle dodu et appétissant à souhait. Malgré qu'il fut plus vif encore que les lapereaux dont je n'arrivais pas à me saisir, et que je n'eus donc pas la moindre chance, à quelque chose près, de l'attraper, je ne put résister à la tentation de le pourchasser. Je prit appui sur mes pattes arrières et les détendit comme un ressort, bondissant avec la rapidité qui est propre aux félins de la lande, pour me lancer à sa suite. Mais alors un nouvel éclair, cette fois gris, me doubla au même instant. Surprise, je me réceptionnais mal et chutais lourdement dans l'herbe heureusement épaisse.
Un instant plus tard, je me redressais, un peu étourdie. J'aperçus un matou gris pâle et blanc bondir sur le lièvre et le tuer d'un seul coup de crocs. C'était un puissant adulte musculeux, et, ayant entendu dans la troupe des rumeurs sur l'agressivité des solitaires, l'angoisse me prit. Mais je n'eus pas le temps de battre en retraite en profitant de ma petite taille pour me cacher dans les herbes ; il se tourna vers moi et s'approcha. Mon instinct me hurlait de fuir, ma raison de me coucher au sol en signe de soumission, mais mon orgueil me poussait à demeurer droite et fière. Ce fut ce dernier qui l'emporta. Le matou était juste devant moi, désormais. D'un seul coup, il aurait pu me tuer. Pourtant, il se contenta de me contempler avec curiosité et laissa tomber sa proie à mes pattes.
***
Il se nommait Éclat de l'Hiver. C'était un matou sympathique et bienveillant, si bien que je ne compris pas qu'il fut solitaire. Il semblait apprécier ma compagnie, et, pendant les quelques lunes que je passais à ses côtés, il se montra accueillant avec tous les chats qui passèrent dans les collines qui étaient, en quelques sortes, son territoire. Lorsque je lui en fis la remarque, il m'annonça qu'il n'avait pas toujours été solitaire. Autrefois, il vivait dans un Clan, qui se nommait Clan de la Petite Brise. Je ne sus jamais pourquoi il en était partit, mais peu m'importait. Il fut comme un père pour moi, ce géniteur chaleureux que je n'aurais pu connaître en restant parmi les miens, et qui m'apprit ce qu'était le lien paternel. Il m'apprit tout son savoir, comme si j'étais sa propre enfant, veillait sur moi et jamais ne me jugeais sur mes actions, mes pensées ou mes émotions. « Petite Mélodie ? On dirait un nom de Clan. » m'avait-il fait remarqué lors de notre rencontre. Je ne sais pas si ce fut poussé par cela, mais il se mit en devoir de me parler des coutumes et croyances claniques. Il m'enseigna les techniques de chasse de son Clan, et leurs techniques de combat. Il me parla du Clan des Étoiles, des prophéties, des neuf vies des chefs, des batailles pour l'honneur. Et cela me passionnait. Je me rendais compte de combien la troupe était petite, de combien nous n'étions que des solitaires, au fond. Et je rêvais de transformer ma troupe en Clan, lorsque viendrait l'heure de mon règne, car je comptais bien y revenir un jour, lorsque je serais trop grande pour que Roc et Songe m'enlèvent de nouveau, lorsque je serais la meilleure combattante et la meilleure Dirigeante qui soit. Mon ambition était trop impétueuse pour que je lui résiste jusqu'à mon dernier souffle.
Je me souviens, en particulier, d'un rêve, aussi indistinct que la plupart de mes rêves, mais qui me marqua. C'était quelques jours après avoir rencontré Éclat de l'Hiver. Je m'étais endormie dans mon nouveau buisson-abri, que le matou avait accepté de partager avec moi et appelait « tanière ». Les voix s'étaient faîtes plus pressantes qu'à l'accoutumé, et j'avais eut du mal à trouver le sommeil. Puis j'avais fermé les yeux. Et je les avait rouvert, un instant plus tard, dans une petite clairière sombre, au cœur d'une vaste forêt aux arbres si grands qu'ils semblaient toucher le ciel. Un ciel étrange, par ailleurs, noir comme un ciel nocturne, mais sans aucun astre pour l'éclairer. La lumière des astres semblait venir de la forêt elle-même, comme si les étoiles s'y trouvaient. Puis j'avais aperçut du mouvement, et une fourrure immaculée, nimbée d'un éclat irréel, m'avait frôlé. Tout était si flou que je n'aurais pu distinguer autre chose que la forme d'un chat blanc dans cette tâche. Et il se tourna vers moi. J'entendis alors une voix, ou plutôt, une multitude de voix n'en formant qu'une seule, dont je ne put comprendre toutes les paroles.
« Je ne comprends pas… » gémissais-je.
D'autres formes félines rejoignirent la première. Ils se consultèrent du regard et s'approchèrent de moi, me frôlant, m'encerclant. Ils s'assirent et pointèrent leur museau vers le ciel d'encre.
« Nuage Mélodieux… » distinguais-je enfin.
Je ne compris pas, à l'époque, la signification de ces paroles. Qui était ce Nuage Mélodieux ? Mais une sensation étrange s'empara de moi, faisant bondir mon cœur. C'était comme si mon être se souvenait mais que mon esprit le refusait. Je ressentis une vive douleur dans ma poitrine, qui me fit sortir d'instinct les griffes. Je fermais les yeux en tentant de l'encaisser. Lorsque je les rouvris, la forêt, les félins, tout avait disparut. Seul mon trouble grandissant perdurait.
***
Astrale me rechercha longtemps, pendant des lunes et des lunes. Elle alla jusqu'à espionner la troupe adverse, au cas-où elle m’aie encore enlevée et cherche à me cacher. Ce fut un chat errant, que Éclat de l'Hiver avait laissé séjourner parmi nous quelques temps, qui lui apprit où je me trouvais. Elle quitta donc sa troupe à l'aube, et s'engagea dans une longue marche qui dura jusqu'au crépuscule, malgré qu'elle tint toute la journée une allure plus que respectable.
Quelle ne fut ma surprise de tomber face à elle dans les collines ! Éclat de l'Hiver nous conduisit à sa tanière. Au début, je refusais de retourner dans la lande avec elle. J'avais prit ma décision de ne rentrer que lorsque je ne causerais plus de troubles. Mère finit pourtant par me convaincre, en m'annonçant qu'elle me cacherait à l'autre troupe afin qu'ils me croient toujours partie à jamais. Éclat de l'Hiver, triste de me voir partir, proposa que nous passions la nuit dans sa tanière avant de retourner dans la lande de la troupe. Astrale accepta, consciente que la nuit tombait. Le matou passa la soirée à parler de son ancienne vie qui me passionnait tant, de son Clan, pour la dernière fois. A l'évocation du Clan de la Petite Brise, je sentit sur ma fourrure le regard intense et songeur de ma mère. Je ne comprenais pas pourquoi, après tout, je vivais avec la troupe, et là était ma place, non ? Pourquoi donc ce clan qui m'était inconnu éveillait en ma mère quelques pensées insondables ?
Le lendemain, à l'aube, vinrent les adieux. Mon cœur était lourd de chagrin. Après tant de jours, après les lunes écoulées que j'avais passé à ses côtés, après tout ce qu'il m'avait apprit, je devais quitter mon « père ». Et tandis que je me blottissais contre sa fourrure pâle, tandis qu'une ultime fois son parfum m'étreignait, Mère lui proposa de se joindre à la troupe. Il refusa, bien qu'il sembla lui coûter de se détourner de la vie en communauté et de ma compagnie. Il savait qu'il ne serait jamais accepté tel qu'il était, qu'il devrait abandonner ses croyances et ses coutumes claniques, s'il devenait un chat de la lande. Alors je suivis Mère dans les collines et les laissais loin derrière moi, la tristesse pesant sur moi comme un poids fatal, tandis que dans un dernier regard, j'entrevoyais la silhouette si chère du félin qui m'adressait un dernier adieu depuis les terres qui étaient son terrain de chasse et qu'il avait si longuement partagé avec moi. Et je me promis de ne jamais oublier ce matou, et tous ses enseignements, même au sein de la troupe.
***
Et une lune s'écoula. J'avais retrouvé mes amis, ma troupe, mes peu avaient été heureux de me retrouver. Depuis mon départ, quelque chose avait changé. Les chats se traînaient, dormaient longuement dans les buissons-abris. Plus personne ne partageait de proie avec ses compagnons en profitant du chaud soleil. Brise, Nuit et Soleil, d'habitude si joueurs et aventureux, était las et faibles. La perte de leur mère n'y étais sans doute pas étrangère. Mais, surtout, c'était la soif et la faim qui gagnait la troupe. Peu après mon arrivée, une terrible canicule s’abattit sur la lande. La pluie était tellement rare, presque inexistante, si bien qu'on en venait à croire qu'elle n'avait jamais été qu'un doux rêve, un songe fugace, une illusion. La sécheresse eut raison des quelques points d'eau de la lande, où seul le vent semble éternel. Les proies vinrent à manquer, chassées par la soif vers des terres plus clémentes, et notamment vers la forêt ombragée où coulaient de nombreuses rivières. Ce fut une époque terrible, et la famine et la soif emportèrent bien des nôtres. Ainsi périt Nuit, la joyeuse, la pétillante Nuit. Elle était la plus sensible à la faim et à la soif des chatons de la troupe, et elle partit un matin, après de longs jours d'immobilité où elle respirait à peine. Elle s'éteint à mes côtés, et je ne pus rien faire. Juste prier, encore et encore, prier le Vent, prier les Astres, et le Clan des Etoiles, et les Voix, de lui offrir un voyage paisible et le terrain de chasse éternel qu'elle méritait.
Astrale fut contrainte de demander l'accès à un lac de la forêt, proche de la frontière, et l'autorisation de chasser. Un jour, elle prit quelques guerriers, les plus robustes, avec elle, et partit pour la forêt. Roc accepta, à la condition de ne pas prendre plus d'une proie pour chacun d'entre nous par jour, et nous savions qu'il sentait qu'un jour nous lui serions redevables. Il avait sûrement peur que nous reprenions trop vite nos forces, et tant qu'il avait l'avantage du nombre et de la santé, il était sûr d'être tranquille. Une paix fragile naquit alors, pour la première fois depuis que les troupes avaient été formées.
C'est un jour où j'étais partie boire que Songe, qui chassait dans les environs, m'aperçut. Furieux qu'Astrale leur ai caché mon retour, il en avertit Roc qui retira son accord. La faim et la soif nous gagnèrent de nouveau, nous dûmes aller chasser dans des territoires éloignés juste pour pouvoir survivre. Un renard profita de notre faiblesse, tuant sous mes yeux Brise et Soleil, ainsi un chat âgé et deux combattants qui avait voulu le repousser. Je me souviens encore des cris, de la douleur, des craquements d'os et du sang. C'était affreux. J'avais eut beau me débattre pour protéger mes amis, mes si chers amis, je n'avais rien pu faire. Les félins m'avaient repoussé en arrière en feulant, m'annonçant que je ne ferais que les gêner, ceux qui me détestaient du moins, ils m'avaient envoyés au loin avec dégoût et l'instant d'après ils étaient morts. Lorsque l'on parvint à repousser le goupil, la petite combe n'était plus que sang, corps et gémissements. Nombreux étaient les blessés, presque personne n'avait été épargné. Alors, profitant de ces vies faibles et vacillantes, de ces corps prêts à mourir, la maladie vint, terrible et mortelle. Une épidémie s'abattit. Et, alors que j'étais si jeune, pas même en âge de devenir apprentie si j'avais été dans un Clan, je vis tous ceux que j'avais connu, aimé, je vis tous les miens tomber sous mes yeux impuissants. Tous, sauf deux : Faucon et Astrale, les deux plus robustes de la troupe. Déjà à l'époque, j'étais moi-même assez forte pour résister. Et, devenue le seul chaton de la troupe, on veilla soigneusement à ce que je ne tombe pas malade moi-aussi. Ainsi pus-je survivre.
Découvrant que nous n'étions plus que trois, la troupe de la forêt nous chassa facilement, avec ses nombreux combattants en parfaite santé. Ils envahirent nos terres et les proclamèrent comme leur, avant de nous ordonner de fuir. Commença alors le long exil.
PARTIE III - Souvenirs d'exil.
Partie III :
Astrale nous guida tout d'abord jusqu'aux collines d’Éclat d'Hiver. J'étais ravie de revoir le matou, malgré les circonstances. Et lui n'en fut pas moins heureux. Nous passions quelques jours à ses côtés, à reprendre des forces dans les collines giboyeuses et paisibles. Puis, un matin, Astrale lui demanda de nous guider jusqu'à son Clan. C'était inattendu. Cette requête nous étonna, mais la chatte blanche ne s'expliqua pas clairement sur ses raisons malgré nos questions. Éclat d'Hiver accepta malgré qu'il lui fut difficile de quitter les collines qui avaient été son territoire pendant tant de saisons.
Durant de longues et épuisantes lunes, nous avancions nuit et jour, dormant peu, chassant en chemin et franchissant tous les obstacles qui se présentèrent à nous. Nous étions tous quatre bons combattants et bon chasseurs, dans la limite de nos âges respectifs bien entendu. Mais nous pûmes repousser ou éviter les ennemis, et trouver de quoi subsister tout au long de notre exil. Nous rencontrâmes de nombreux chats, solitaires ou errants, parfois domestiques, et certains nous accueillirent pour reposer pendant quelques temps nos muscles endoloris. Bien souvent, ils nous indiquaient les endroits à éviter, et le chemin le plus simple. Mais il y eut aussi des chats agressifs, qui nous attaquèrent sans raison apparente parfois. Éclat d'Hiver et Astrale connaissaient quelques plantes pour nous soigner, mais leur savoir était assez limité et les blessures pouvaient vite gêner gravement.
Faucon ne connut malheureusement jamais la fin de l'exil. Il fut tué dans la nuit par une bande de chats errants qui nous attaquèrent. Il se battit de toutes ses forces pour nous protéger, mais les adversaires se jetèrent sur lui à plusieurs pour le terrasser. Lorsque la bataille prit fin, je découvris le corps inerte du grand matou gris tigré que j'avais tant aimé. Je me consolais tant bien que mal en songeant que désormais, il était aux côtés de Griffe, son amour, et de leurs chatons. Il veillerait sur eux, où qu'ils soient. Et nous reprîmes notre chemin.
Nous parvînmes finalement à gagner les abords de la lande du Clan de la Petite Brise. Alors que j'embrassai du regard ce paysage inconnu mais familier, je sentis une nouvelle fois le regard pensif de ma mère. Ses yeux luisaient et un doux sourire s'esquissait sur ses babines. « Là est ta véritable place, Petite Mélodie, avait-elle murmuré. Dans tes veines, c'est le sang de ces guerriers qui coule. C'est la brise de cette lande qui t'appelles, et le chant de ces ruisseaux qui murmure ton nom, et c'est ici que ta mère, ta véritable mère, veillera sur toi depuis le ciel. Petite Mélodie, tu n'as jamais été une impure, et tu ne le seras jamais. Car si tu es née bien loin, c'est à cette terre que tu appartiens. »
Et elle m'expliqua comment elle avait mis-bas prématurément des deux petits de Songe loin de la combe ; deux petits morts-nés. Elle m'apprit la façon dont elle avait, le lendemain, découvert une jeune chatte noire et blanche, Plume Nocturne, dans une marre de sang. Elle lui avait demandé de s'occuper de sa fille, "Petite Mélodie", lui expliquant qu'elle avait quitté le Clan de la Petite Brise il y avait deux lunes de cela, et qu'elle venait de me mettre au monde, ce qui allait lui coûter la vie. Astrale m'avait alors ramenée avec elle à sa troupe en disant qu'elle était ma mère, que c'était moi le chaton qu'elle attendait. Je ne lui en voulus pas. Comment aurais-je pu ? Elle était la seule mère que j'ai jamais connu et aimé, même si ma véritable mère, celle qui s'était sacrifiée pour moi, demeurerait à jamais dans mon cœur. Et Eclat d'Hiver nous guida jusqu'au camp du Clan, là où notre voyage, notre exil, prendrait fin.