Tel qu'elle le savait, la nuit ne tarderait pas à tomber sur la forêt. Sur le reste des terres alentours également : la course solaire n'était pas différente pour les chats Claniques que pour les Solitaires et les Domestiques. Et cette petite piqûre de rappel n'aurait pas été de trop, au sein de son propre Clan : il y avait toujours des félins pour mépriser ceux qui grandissaient loin des traditions des chats de la forêt.
Heureusement pour elle, peu de personnes au sein de la Foudre connaissaient sa véritable identité. Lorsqu'elle était arrivée, plus de 12 lunes plus tôt, elle portait l'odeur caractéristique des chats du Clan de l'Eau Vive. Et personne n'avait posé davantage de questions : Etoile de l'Apothéose ne s'arrêtait guère à ce genre de considérations. Comme elle, il pensait que le mérite prévalait sur le sang de naissance.
C'était grâce à la vision ouverte de son meneur qu'elle avait pu obtenir la place qu'elle avait aujourd'hui. Elle était l'une des plus jeunes lieutenantes de la forêt, et bien que la hiérarchie ne la laisse souvent que froide, elle ne pouvait nier que le semblant de pouvoir qu'elle exerçait sur ses congénères la satisfaisait pleinement. Rares étaient ceux qui, désormais, contestaient ses décisions. Elle connaissait sa réputation d'être pragmatique et sans émotion, mais pour l'instant, le Clan n'avait jamais eut à pâtir d'un de ses choix.
Ne parvenant pas à trouver le sommeil, elle avait laissé le camp aux bons soins des deux patrouilleurs, qui veilleraient sur le Clan endormi jusqu'à ce qu'elle vienne les relever de leurs fonctions. Et elle savait qu'Etoile de l'Apothéose était réveillé quand elle était partie. Si un quelconque problème survenait, les chats iraient directement voir leur meneur. Ce qui, souvent, les arrangeait bien : on ne faisait pas encore réellement confiance à la chatte bicolore.
Désireuse d'observer les étoiles, et les quelques constellations que sa mère avait pu lui faire découvrir, elle décida de s'éloigner du couvert végétal. Ses pas la menèrent jusqu'à la frontière du territoire de la Foudre, et elle se mit à contourner celui de la Lune Noire, leur plus proches voisins. A l'extrémité des Terres, elle tomba sur le muret en ruines, qui couvrait presque la moitié des territoires neutres.
Se servant de ses muscles agiles, elle sauta pour atteindre les premières rangées. Tout en avançant, pour optimiser l'efficacité de ses déplacements, elle s'arrangeait pour grimper toujours plus haut. Elle arriva finalement à un endroit, d'où elle put rejoindre l'un des points culminants de l'ancienne construction de Bipèdes. Se logeant sur la pierre, fraîche en ce beau milieu de nuit, elle ramena sa queue autour de ses pattes, sur le devant, et leva son museau blanc à la face de la Lune.
Elle ne parvint à repérer que la constellation d'Orion, celle que sa mère lui avait montré en premier. Elle n'avait que quelques semaines, et déjà elle s'émerveillait devant la grandeur de ce monde noir et parsemé de points lumineux qu'était le Ciel pendant la nuit.
Vers sa gauche, en contrebas, elle entendit distinctement des pas fouler les quelques touffes d'herbe qui parvenaient à pousser entre les pierres. Se retournant légèrement, inclinant les oreilles dans la direction du bruit, elle voit clairement une silhouette flamboyante se frayer un chemin entre les murs gris et mornes des ruines. L'odeur caractéristique de la forêt, toujours verdoyante sur le territoire adjacent à sa position, elle pense ne pas se tromper en saluant le meneur du Clan des Arbres.
Bonsoir, Etoile du Rubis Enflammé.
Élue moins d'une lune auparavant, juste après la dernière Assemblée des Clans, Saisons de Perséphone n'avait jamais eu l'occasion de parler seule à seule avec le Chef du Clan des Arbres. Elle l'avait vu lors des quelques Assemblées où elle avait été désignée pour accompagner Etoile de l'Apothéose, mais c'était tout.
Elle savait que, lors de la prochaine Assemblée, elle se devrait d'aller saluer tous les meneurs. Même si elle ne respectait que rarement les principes de hiérarchie au sein des Clans, elle souhaitait que tous les chats de la Forêt puissent avoir une preuve, à travers elle, que le mérite valait mieux que le sang. Et si cela devait passer par une conversation avec chaque matou d'un rang supérieur ou égal au sien, elle le ferait.
Elle resta assise sur la pierre, surélevée par rapport au chat roux. Cependant, la queue ramassée autour des pattes, elle ne l'empêchait nullement de la rejoindre, si l'envie lui prenait de vouloir discuter.